QUERELLE
DE GESTIONNAIRES
Lieu : La Mère Patrie
Date : 06/03/1999
Heure : 21h 34
Musique : Bad Samaritans, album " Ouch " / Silence
J'étais devant l'ordinateur, je me baladais sur le site "
mp3.com " dans la section " Punk/Hardcore ". Je cherchais
ce que je pouvais encore télécharger. J'avais fini l'article
stupide sur " Le développement des infrastructures sociales
" à temps,et ils avaient pu commencer à boucler le
numéro lundi. Il restait à peine plus d'une heure avant
le concert nocturne dans la boîte de nuit : " Zona "
.
Quelqu'un a commencé à hurler dehors. J'ai approché
le fauteuil de la fenêtre, et jeté un oeil. Des lascars
en combinaison camouflage sautaient de l'autobus. Certains d'entre eux
étaient masqués. On voyait aussi deux types derrière
l'autobus, près d'uneMercédès noire. L'un d'eux
avait ouvert son manteau, révélant cravate et costume,
et l'autre en jean à pattes d'éléphants, le walkie-talkie
en main.
Je suis de mon bureau dans le couloir désert. Je suis descendu.
Au rez-de-chaussée non plus, il n'y avait pas un chat.On entendait
des cris s'échapper du poste de contrôle, à l'entrée.
Je suis sorti sur le perron. Les lascars en tenue camouflage passaient
les bracelets à deux vigiles.
-Mais qu'est-ce que vous foutez, bande de salopards ? criait l'un d'eux,
un homme mûr, ancien lieutenant de parachutistes.
-Qu'est-ce qu'il se passe ? ai-je crié à mon tour.
-Et t'es qui toi, pour poser cette question ?
Un des gars en tenue camouflage m'examinait à travers la fente
de sa cagoule noire.
-Je suis un des rédacteurs de la revue du complexe industriel.
-Alors dégage vite fait d'ici, tu me suis ? Et gentiment, je
te le conseille…
-Mais qu'est-ce qui se passe ?
-Rien. ça ne te regarde pas. T'as pas percuté ?
-Qu'est-ce qu'il faut que je comprenne au juste ? Des étrangers
à la boîte débarquent et tabassent les vigiles du
complexe industriel…
-On fait ce qu'on nous a demandé de faire. Si tu veux, tu peux
bavasser avec la direction.
Il a fait un signe de tète vers le portail.
Je suis sorti de l'enceinte, je me suis avancé vers la Mercédès.
Le type au talkie-walkie était en train de hurler dans l'émetteur-récepteur
:
-Vous avez disjoncté ou quoi ? On vous l'a pourtant répété…
Neutralisez les vigiles, mais laissez les employés de l'équipe
de nuit travailler tranquilles… Qu'est-ce que tu leur as dit ? Comment
ça se fait qu'ils aient fourré leur nez là-dedans
? Bon et lui alors ?… Quoi, tu sais pas ? Il respire encore, au moins
? Oh toi, espèce d'enfoir…
-Bonjour, ai-je dit. Vous pouvez m'expliquer ce qui se passe ?
-Et on peut savoir à qui on a affaire ?
L'homme au walkie-talkie m'a agrippé aux revers du blouson.
-…Fous le camp d'ici en vitesse…
-Je suis rédacteur…
-Et alors ?… T'es rédacteur, mais quoi…
-Attends, a dit son comparse en me jetant un regard. Si tu es rédacteur,
je peux tout t'expliquer. Il se passe que l'entreprise change de propriétaire.
Le complexe a été vendu. Mais pour une raison ou pour
une autre, les vigiles n'étaient pas au courant, et ils ont fait
une tentative de résistance… Ne t'inquiète pas, rédacteur,
rien ne change au complexe industriel. De toute façon, quoi qu'il
arrive, ça sera pas pire. Tu piges ?
Je suis retourné sur mes pas, vers les locaux de la direction.
Tout était aussi tranquille qu'avant. Je suis allé à
mon bureau, j'ai décroché le téléphone,
trouvé le numéro de téléphone fixe du directeur
sur les fiches et je l'ai composé. ça ne répondait
pas. J'ai appelé son portable. " L'abonné se trouve
en dehors de la zone d'émission de nos antennes ". Le directeur
adjoint ne répondait pas non plus. J'ai composé le 02.
-Allo, la police ? Je vous appelle du complexe industriel. Nous sommes
victimes d'un assaut en règle… Des gens encagoulés ont
fait irruption et tabassé les vigiles…
La porte du bureau s'est entrouverte. Deux tarés en tenue camouflage
se sont aussitét engouffrés au pas de course, tous les
deux cagoulés. L'un d'eux a arraché du mur la prise du
téléphone, l'autre s'est précipité sur moi.
-Tu vas foutre le camp d'ici ?
-Qu'est-ce que vous faites au juste, les gars ?
Il m'a frappé ? la mâchoire. Je suis tombé. Entre
le bureau et l'armoire. J'ai ébranlé l'armoire. Un tas
de vieilles paperasses s'est envolé d'une étagère.
Il m'a frappé une deuxième fois, un coup de botte. Que
j'ai encaissé pleine poitrine. Je me suis recroquevillé,
protégeant ma tête avec mes bras. C'est là que le
coup suivant a percuté, sur les bras. Le deuxième taré
a pris la console d'ordinateur, l'a soulevée et balancée
par terre. L'écran a tinté en se brisant. Malgré
tout, la musique passait encore sur les hauts parleurs.
-Bref, dégage d'ici vite fait !
Je me suis levé, j'ai pris mon sac à dos, je suis descendu
au rez-de-chaussée et j'ai traversé la rue. Une voiture
de patrouille s'est approchée du complexe industriel. Il en est
sorti deux flics. Les hommes de la Mercédès ont commencé
à leur expliquer quelque chose, à leur fourrer des papiers
sous le nez. Le tramway a surgi au carrefour.
****
TOUT EST NORMAL AU QUINQUENNAL
Lieu
: La Mère Patrie
Date :29/09/2001
Heure : 12h 35
Musique : Silence
Je suis sorti sur le balcon de la datcha de Pinski. Le parc était
entouré d'un mur de briques d'une hauteur d'environ trois mètres.
Sanchez y était en pleine répétition de son "
action ". Deux douzaines de retraités étaient groupés
près de la fontaine.
-Donc, qu'est-ce que vous vous mettez à crier ? a demandé
Sanchez.
-Filatov, vampire !ont grommelé les vieux sporadiquement. Il
nous réduit à la mendicité !
-Non, si vous le faites comme ça, ça ne marchera jamais.
Sanchez a froncé le sourcil.
-… Allez, encore une fois, fort et tous ensemble !
-Filatov, vampire ! Il nous réduit à la mendicité
! Filatov, vampire ! Il nous réduit à la mendicité
!
-C'est beaucoup mieux. Bon, on fera d'autres répétitions.
Maintenant, en ce qui vous concerne, les gars …
Sanchez s'est tourné vers les voyous, en train de griller des
cigarettes, eux aussi près de la fontaine. Ils étaient
une quinzaine, tous en blouson " bombers ", ou en blouson
de cuir, le crâne rasé.
-…Mais vous, les gars, vous vous pointez après les slogans, vous
vous jetez sur les retraités et vous faites semblant de leur
casser la gueule. Vous avez bien entendu : vous-faites-semblant ! Le
moindre hématome et vous pouvez dire adieu au pognon. Compris
?
-On a percuté, a dit sombrement l'un d'entre eux, manifestement
le chef. Et à qui on peut casser la gueule, alors ?
-Au meeting, à personne. Si vous faites ce boulot correctement,
on vous en donnera un autre où vous pourrez cogner.
Sergueï a pointé son nez au balcon, lancé un regard
vers Sanchez, avant d'agiter le bras pour lui faire un signe.
-Conclues, abrège, on a une réunion. Et toi, Alex, tu
es convoqué aussi.
Je l'ai suivi dans le salon au décor " byzantin " :
chaises dorées, lustre doré, cheminée vieil or,
allées recouvertes du tapis rouge, une énorme garde-robe
hideuse en bois rouge.
Anton était déjà assis à la table, des photos
sorties de l'imprimante à la main.Pinski est monté du
rez-de-chaussée. Il était suivi de son garde du corps,
suivi lui-même de Sanchez. Pinski s'est installé sur le
grand fauteuil, on s'est tous entassés sur le canapé près
de la table basse.
-En bref, expliquez-moi où nous en sommes, a dit Pinski.
-Tout marche comme sur des roulettes. Tout est normal au quinquennal.
Sergueï s'est interrompu. Pinski a hoché la tête.
Peu probable qu'il ait compris que c'était une citation.
-… La préparation du meeting continue. On a choisi tout le monde,
on en est aux répétitions.
Il ahoché la tête en direction du balcon.
-…Il est prêt, le texte du discours ?
Sergueï me regardait, j'ai hoché la tête.
-…Anton aussi a préparé un certain type de matériel.
Anton a donné ses photos couleur sorties de l'imprimante ? Pinski.
Il en avait bricolé une sur photoshop où il avait collé
la tête de Filatov sur un type au lit avec deux filles à
l'air de putains. Pinski a regardé, souri, et nous a fait un
clin d'oeil.
-Pas mal, pas mal. Et la vidéo ? Elle est prête ?
-Non, on a un problème avec ça, a dit Anton. Il faut mettre
beaucoup trop de gens dans la confidence, les probabilités de
fuites sont élevées. Ce qui serait une sentence de mort,
pour nous autres. Sinon, quelques bobines de documentaire sont déjà
passées sur les grosses chaînes du pays… Les spectateurs
ne les accueillent déjà plus comme quelque chose de nouveau,
d'intéressant. Et quant à se tourner vers le journal local,
ça va nous demander du boulot…
-Ouais, pointez-vous chez " Oméga " un de ces jours
et embarquez les justificatifs en petites coupures de votre action.
Pinski remplit toujours sa part du marché. Mais vous aussi, avez
des obligations. Travaillez, continuez…