POURQUOI TRADUIRE GOPNIKI DE VLADIMIR KOZLOV ( RACAILLES , DANS LA TRADUCTION FRANCAISE DES ÉDITIONS MOISSON ROUGE ) ?

" D'une façon générale, l'une des réussites principales de Vladimir Kozlov, c'est un langage minimal. Souvenez-vous que Wittgenstein disait que le langage idéal était celui dans lequel la quantité d'idées correspondait aà la quantité nécessaire pour que les mots puissent les désigner ? Chez Kozlov, c'est le contraire. Les situations existent autant que le permettent les mots en réserve dans le vocabulaire de la racaille, pas plus. Et c'est profondément juste. Un problème dont ne peut expliquer l'essentiel à un enfant n'existe pas."

Ainsi était défini le style de Vladimir Kozlov par un critique littéraire de la revue russe " Ex-Libris " en 2002. Traducteur spécialisé dans la traduction des sous-cultures argotiques, j'avais déjà rencontré un certain nombre d'univers littéraires où l'apparente étroitesse du vocabulaire cache la richesse vernaculaire d'une langue dont la poésie joue sur des variations infimes (inversion, changement de registre, sous-entendu). Notamment avec le Benderson du début, celui de " New York Rage ", dont le Nuyorican qui affichait 150 mots, un tiers sur la came, un tiers sur le sexe, un tiers sur le fric, se révélait à l'usage porteur de nuances infinies. Comme si l'imagination, bridée par la pauvreté du langage employé, trouvait de quoi étancher sa soif par d'autres moyens. Quel meilleur défi pour un romancier ?
C'est aà une tentative similaire que l'on assiste chez Kozlov. Sa langue est âpre et elle se tient mal, ne reculant devant aucune bassesse pour faire avancer l'histoire, de préférence à coups de pieds. Le traducteur, dans ces cas-là, doit être un peu contorsionniste, ou peut-etre, un peu serpent qui s'infiltre. La langue de Kozlov choisit le terne de préférence au brillant, l'écrasant de préférence au grandiose. Elle se dpréférenceplace dans une ambiance de claustrophobie et d'oppression au fond d'un monde où la chance n'existe pas. C'est dans le tissu de cette banalité que Vladimir Kozlov développe un certain degré de folie ordinaire, par la description exacte de l'ignorance et de l'aveuglement. Il est également en cela comparable à certains Anglais, comme le John King de " Football Factory ", ou le Charlie Williams de " Des clopes et de la binouze ". La tonalité de Kozlov est alourdie d'un climat polaire. Quel meilleur défi pour un traducteur ?
J'ai tenté de restituer cette façon de composer une atmosphère dans un langage volontairement assourdi où le bestial, loin d'être spectaculaire, n'est qu'un ingrédient malsain de plus dans un quotidien glaçant. Pour y parvenir, j'ai appliqué une recette déjà utilisée pour " Basketball Diaries " de Jim Caroll , un argot minimal, mais puisé à deux sources différentes : l'argot parisien classique, et la langue moderniste du Paris des rues contemporain, en essayant de les mixer sur un tempo qui suive de près celui imprimé par Kozlov. C'est dans le paradoxe, la répétition et la disparité de ces deux langues rétractées, que j'ai cherché à reproduire ce rythme, " l'effet Kozlov ", véritable performance d'écrivain, témoignant d'une voix et d'une imagination singulières.

Thierry Marignac